Mille exploitations agricoles disparaissent chaque année sur le territoire helvétique. Faut-il sauver le paysan suisse ? Sera-t-il bientôt exposé au Musée Ballenberg ? Les Coulisses de l’événement (RTS) racontent l’épopée de la grève du lait en 2008 . Des milliers de paysans avaient pris part au mouvement dans tous les cantons romands, affichant une détermination et une solidarité impressionnantes. Dix ans plus tard, le temps de la révolte semble passé. Le paysan suisse se cache pour mourir. Ne lui reste plus que l’espoir d’un sauvetage dans les urnes. Après la votation sur la sécurité alimentaire, plusieurs scrutins sur l’agriculture s’annoncent déjà à l’horizon politique du citoyen suisse, témoignant du profond malaise qui frappe ce secteur économique.
(Texte: RTS)
Le Quotidien Jurassien, 2 octobre 2017, «Refusons les dogmes iniques du marché» (Fernand Cuche)
- MOUTIER LE QUOTIDIEN JURASSIEN, 2 OCTOBRE 2017, PAGE 9
«Refusons les dogmes iniques du marché»
Fernand Cuche, ancien conseiller national et conseiller d’État, a plaidé vendredi soir dans le cadre de la 9e édition de la Fête des vendanges en faveur d’une agriculture «intelligente et à dimension humaine», caractérisée par le refus «du modèle productiviste».
Une centaine de personnes de divers milieux professionnels s’est laissée captiver par la verve de l’agriculteur neuchâtelois, qui a pointé, en dehors de toute autocensure, les failles d’un système qui «nécessite une paysannerie nouvelle». Entretien.
L’enjeu est facile à comprendre. Soit nous refusons d’obéir aux dogmes d’une agriculture industrielle, qui intoxique et appauvrit les sols, pollue les eaux, mine la biodi-versité, nous rend dépendants de l’étranger et décime «le sel de la terre» – la population paysanne –, soit nous allons droit et définitivement dans le mur. C’est en substance, chiffres et preuves à l’appui, le message livré par l’infatigable Fernand Cuche à l’ombre de la collégiale, vendredi soir à Moutier. Un discours rapide, qui n’a pas hésité à pointer du doigt le manque d’esprit critique des scientifiques, ni l’Union suisse des paysans.
Le Quotidien Jurassien. – Au fond, vous menez un travail de conscientisation. Qu’arrivera-t-il à notre pays si cette prise de conscience n’est pas rapidement réalisée?
Fernand Cuche. – À notre pays, et à bien d’autres, oui… Mais nous avons une petite longueur d’avance en matière de politique agricole et d’agri-culture à dimension humaine. Je dis «nous» parce que nous sommes de plus en plus nombreux à souhaiter cette transition. La preuve avec les six initiatives qui concernent l’envi-ronnement, la qualité de la nourriture, ou qui demandent la fin de l’utilisation des pesticides de synthèse. Je suis donc relativement optimiste, parce
que le peuple suisse est attentif, et très critique. Je le perçois ce soir encore, ici à Moutier, où la jeunesse était bel et bien présente. Mais la question demeure: comment cela va-t-il s’organiser pour que le changement intervienne le plus rapidement possible?
– Sans le concours des jeunes générations, cela ne s’or-ganisera pas de si tôt.
– Vrai, mais la façon des jeunes de réagir au type de message délivré ce soir n’est pas comparable à la contestation que moi je menais à l’époque, avec des manifestations, etc. Eux, ils s’éloignent du système économique qui nous capte. Ils se montrent créatifs. Ils gèrent par exemple des épiceries de
proximité, s’engagent dans des productions d’agroécologie, se mettent ensemble pour des coopératives d’écoproduction respectueuses de l’environne-ment et de l’animal. Mais il y a un partenaire qui a systématiquement du retard dans ces thématiques, c’est la grande organisation nationale paysanne.
– Vous pouvez préciser?
– L’Union suisse des paysans doit apprendre à anticiper. À évoluer dans sa façon de percevoir le marché. Si la négociation avec les grands distributeurs que sont Coop et Migros, ou encore Lidl et Den-ner, n’aboutit pas, il faut que la profession développe elle-même son réseau de distribution. Mais L’Union suisse des
paysans reste sur ses pattes arrière. Elle ne réussit même pas à défendre le prix du lait de consommation quotidienne à 55 centimes, alors qu’il faudrait 1 franc pour que le paysan soit rémunéré! C’est un appel que je lance ici…
– On souhaiterait que ce genre d’appel résonne un peu plus fortement sous la Coupole à Berne. Qu’est-ce qui coince?
– Ce que j’ai senti de la part des élus, dont je fus moi-même pendant six ans, c’est un assujettissement complet aux forces du marché. Or si les gouvernements ne prennent pas conscience, demain, de la nécessité de recadrer le marché et de le remettre à sa place, de le considérer comme un simple outil, alors c’est la société civile qui va s’en occuper. On a un affaiblissement progressif du pouvoir politique. On n’a jamais autant sollicité ce pouvoir comme maintenant. En l’espace de quatre ans, sept initiatives ont été déposées en la matière! Ceci est
bien le signe que l’autorité politique élue ne fait pas son travail, qu’elle gouverne hors sol, qu’elle n’a pas de contact avec la base et qu’elle est assujettie aux forces du marché. Cet espace mou, diffus, qui nous fait craindre le pire pour après-demain, ouvre aussi le champ politique aux populismes.
– Quel est le rôle des pressions exercées par l’Union européenne?
– Écoutez. Les tenants du marché ne sont pas des gens sages. Ils n’ont pas de vision pour demain. Ce ne sont pas des humanistes. S’ils l’étaient, ça se saurait depuis un certain nombre de générations. À partir du moment où les gouvernements ne gouvernent plus, mais se soumettent aux dogmes d’une gouvernance mondiale économique sans éthique, les disparités économiques et sociales s’accentuent, et la faim dans le monde revient. Ce qui est le cas.
Propos recueillis par PABLO DAVILA
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