RTS UN, « Infrarouge » du 26.04.2023 : Climat: la fin justifie-t-elle les moyens ? avec Fernand Cuche
« Ils se collent sur les routes ou les autoroutes, ils labourent des greens de golf, ils aspergent des tableaux de maître: en Suisse comme ailleurs, les activistes du climat revendiquent la désobéissance civile pour justifier leurs actions spectaculaires et souvent hors des clous de la loi.
Alors l’urgence climatique est-elle au-dessus des lois? La cause est-elle trop importante pour s’embarrasser des institutions démocratiques et de leur lenteur inhérente? Et face à l’accélération en cours de la transition énergétique, le catastrophisme est-il toujours le bon narratif ?
« Climat : la fin justifie-t-elle les moyens? », c’est le débat d’Infrarouge mercredi 26 avril » (texte RTS).
Invités :
Fernand Cuche, ancien conseiller d’Etat, Les Vert-e-s/NE
Philippe Nantermod, vice-président du PLR Suisse, conseiller national VS
Maxime Auchlin, président des Vert’Libéraux /NE
Cécile Bessire, porte-parole de Renovate Switzerland
Blick.ch 25.04.2023. L’ancien conseiller d’État Fernand Cuche «Les activistes devraient agir de jour, à visage découvert»
Terrains de golf – sécurité alimentaire.
Des terres toujours cultivables
Quasi tous les terrains de golf du monde étaient cultivés avant de devenir des espaces de loisirs pour gens fortunés. Ces terres nourricières, plates, fertiles sont choisies aussi pour leur exposition au soleil, une profonde couche de terre végétale et la possibilité de capter de l’eau dans la proximité. Les meilleurs sols pour réussir ses récoltes. Les pionniers de la culture des champs ont bien identifié les conditions requises pour améliorer les récoltes Les domaines d’un seul tenant sont prisés. Pour un golf à 19 trous il faut compter une cinquantaine d’hectares. Les golfs suisses représentent une surface agricole de 4200 hectares ; c’est donc parmi les meilleures terres agricoles, faciles à cultiver que la plupart des terrains de golf prennent racine. La qualité requise pour les pelouses à golf requiert une tonte suivie, une attention soutenue pour l’arrosage, l’apport en engrais et l’utilisation de produits phytosanitaires afin de garantir une qualité impeccable des parcours. L’utilisation sociale de ces espaces aménagés est plutôt extensive, rien à voir avec la pelouse d’une piscine municipale ou les parcs publics en bordure de nos lacs à la belle saison.
Le dérèglement climatique, la raréfaction des ressources naturelles vitales comme l’eau et les terres arables jette une lumière crue sur le mal développement de nos choix sociétaux, notamment en matière d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, encore, 90 % de notre alimentation dépend des sols. Au niveau planétaire, une surface équivalente à la surface de la Suisse est définitivement perdue pour la production de denrées alimentaires (salinisation, sécheresses persistantes, désertification, épuisement des terres), et le phénomène s’amplifie. Les 4200 hectares utilisés pour la pratique du golf dans notre pays demeurent cultivables. La Fédération Suisse Golf dispose depuis 2018 d’une « commission durabilité » dont la stratégie est claire selon les déclarations de son responsable dans « Le Temps » du 19 avril dernier : » On se dirige vers une gestion sans produits phytosanitaires que l’on prévoit d’atteindre en Suisse en 2030, mais cela pourrait être plus tôt, notamment si on nous y oblige. Et puis à l’horizon 2035, on souhaite atteindre la « neutralité carbone ».
La sécurité alimentaire doit s’adapter en permanence face à la nouvelle donne évolutive climatique avec ses conséquences sur les rendements au niveau mondial et le coût de l’alimentation. Estimer les terrains de golf comme un potentiel agricole de proximité doit être pris en considération. L’état de nécessité peut être évoqué par le Conseil fédéral. Il s’est référé récemment à cette disposition légale pour le sauvetage de la banque Crédit suisse. Personne dans ce pays « souhaite » en arriver à un point d’urgence alimentaire national, comme c’est le cas dans de nombreuses régions du monde. Personne ne peut affirmer que cela n’arrivera jamais ici. La transition vers une agriculture de proximité, durable, résiliente, tarde à venir. Rien n’est prévu de décisif au niveau fédéral avant 2030. Les activistes pour le climat qui ont marqué leur passage, à leur façon sur les terrains de golf nous rappellent une fois de plus l’état d’urgence.
Fernand Cuche
Lignières, 20 avril 2023
BON POUR LA TÊTE du 17.03.2023 : Culture / « Par nos racines et nos sources, le paysan survit en nous » avec Fernand Cuche
Grondement des terres à Vufflens-la-Ville, avec Fernand Cuche
Samedi 4 mars au 19.30 de la RTS ; un groupe d’activistes pour le climat ont aménagé un campement au pied d’une colline boisée, convoitée par le groupe Orlatti pour ouvrir une gravière. Nous sommes près de la Venoge, à proximité du Moulin d’Amour. Le lendemain matin, je descends du train à Vufflens-la-Ville, commune qui héberge ces « nouveaux habitants ». Le fond de l’air est frais, la lumière blanche. Une voiture de police approche de la gare, remonte la colline en direction du village, tire à gauche vers la forêt. C’est une bonne piste à suivre. Une habitante me confirme l’existence du campement. Durant toute la nuit, elle a entendu des tracteurs qui vraisemblablement ont ravitaillé le camp.
Sous les banderoles et les cabanes dans les arbres, pas trace d’un tracteur ou d’une logistique lourde. Ils auraient accueilli à bras ouverts cette solidarité spontanée. Un de leurs buts est d’engager des échanges et des débats avec les habitant-e-s de la région, susciter un éveil citoyen sur la dégradation de l’environnement naturel, le bétonnage des terres agricoles, l’appauvrissement de la biodiversité et l’augmentation du trafic. Les grues et autres machines de chantier sont très présentes dans la proximité, signe évident d’une urbanisation qui convoite de nouveaux espaces. Ici comme ailleurs dans de trop nombreuses régions du pays, les acteurs de ces avancées conquérantes semblent ignorer les graves conséquences du dérèglement climatique, ou estiment toujours qu’il faut y aller comme avant. À ce rythme, la chute s’accélère.
Grondements des terres cherche de nouvelles voies pour étoffer la réflexion, lui donner une dimension intergénérations, ne plus chercher des échappatoires, s’accrocher à de veines illusions. Aménager des surfaces de compensation écologique à la périphérie des zones urbanisées, même sérieusement étudiées par des bureaux spécialisés, ne suffit plus. Les limites de la planète nous rappellent que l’expansion n’est plus possible, qu’il s’agit d’aménager maintenant à l’intérieur de ce qui est construit avec d’autres matériaux, intégrer une vision durable. En d’autres termes vivre autrement sans détruire ce qui nous reste de nature et d’espérances. Revenir aux fondamentaux à commencer par la préservation des terres nourricières et les forêts.
Dans cette deuxième semaine de mars, la pluie est de retour après une longue absence, inhabituelle durant l’hiver. Il y a 10 ans encore nous aurions dit : « j’espère que ça va se calmer pour engager les semailles du printemps. Aujourd’hui, nous disons : il en faut encore, encore… ».
« Grondements des terres » nous rappellent qu’il est urgent de revenir aux valeurs fondamentales de la vie aussi simples et vitales, évidentes comme l’eau, les terres nourricières et la biodiversité. Préserver, cultiver, prélever sans gloutonnerie ni gaspillage, sans spéculation ni pollution. Un autre groupe, « Extinction Rébellion » affichait, concernant l’extension de la zone industrielle de la Tène sur 24 hectares de bonnes terres agricoles : « Qui sème le béton déguste la dalle ».
Ces groupes de jeunes, lanceurs et lanceuses d’alertes, nous dérangent par leurs actions qui projettent un éclairage cru sur le mal-développement des sociétés industrialisées et riches, sur notre inertie face à la nécessité de transiter vers des modes de vie plus apaisés et solidaires. Ces alertes légitimes et crédibles nous rappellent une fois de plus que ce ne sera plus comme avant, plus comme maintenant !
Fernand Cuche
Lignières, le 13 mars 2023
Vufflens la-VIlle le 05.03.2023 discours de Fernand Cuche
le 13.03.23 à 19h, événement en ligne : « À quel prix notre système alimentaire nourrit-il le monde ? » avec Fernand Cuche
Extrait consacré à la première prise de parole de Fernand Cuche (9 min.)
Enregistrement complet de l’événement (2h 5 min.)
Avec :
Fernand Cuche
Militant écologiste et ancien élu neuchâtelois
Kibrom Mehari
Spécialiste en droit à l’alimentation à l’EPER
Diary Rats imanarihaja
Experte agronome à Madagascar
Infos et inscriptions :
bit .ly/prixnourrir
ArcInfo 28.01.2023 : Fernand Cuche: « Le plan climat neuchâtelois est un signal fort vis-à-vis de la population »
Alliance entre l’économie et l’Union suisse des paysans. Il était temps. Les campagnes retrouvent le sourire…
Dans la série : quelle audace !
Alliance entre l’économie et l’Union suisse des paysans.
Il était temps. Les campagnes retrouvent le sourire…
Le 6 janvier 2023, à l’occasion de l’épiphanie, jour où le Christ apparaît face aux Rois mages venus l’adorer, l’alliance est consolidée et officialisée, peut-être sacralisée un jour, sous le nom de : « Perspective suisse ».
Ce méga-pôle économique emploie plus de 4,5 millions de personnes dans plus de 600’000 entreprises. Le secteur agricole représente 48’500 entreprises pour environ 150’000 personnes actives. Pour les actions à venir, l’alliance mentionne les élections fédérales de décembre 2023 et la votation sur l’initiative populaire fédérale concernant la protection du paysage.
Quelle audace de se lier aux tenants de l’économie ! Le poids de la paysannerie représente moins de 1 % des entreprises et des emplois dans l’alliance.
L’Union suisse des paysans (USP) nous avait habitués à plus de méfiance face à des organisations tout aussi proches de l’agriculture, telles les associations de consommateurs ou de protections de la nature.
Ce partenariat se mijote depuis quelque temps déjà ; les propositions du Conseil fédéral pour la politique agricole à partir de 2022 (PA22+), marquées par des avancées progressistes pour le statut de la paysanne, les enjeux environnementaux et l’accès à la terre faisaient grimacer l’USP qui demandait une non-entrée en matière.
Les milieux économiques ne voulaient pas de l’initiative « multinationales responsables ». Si l’USP propose aussi de la rejeter, les milieux économiques donneront le coup de main pour renvoyer PA22+.
La manœuvre a réussi. Rebelote pour les initiatives anti-pesticides, idem pour le traité commercial avec l’Indonésie concernant notamment l’importation d’huile de palme. Et dernière consultation en date, l’initiative contre l’élevage intensif est aussi refusée.
Pourquoi changer l’attelage lorsque l’alliance réussit si bien ?
Tentons de rester positifs et optimistes. La puissance de frappe de cette nouvelle l’entité consolidée permet d’espérer une adaptation automatique des salaires au coût de la vie, une revalorisation des revenus les plus bas.
Pour la paysannerie, espérons-le, la fixation durable de prix rémunérateurs à la production ainsi que des prix abordables pour les équipements et les intrants.
Nous aurons aussi une meilleure transparence au sujet des marges qui font encore l’objet d’une opacité tenace.
Pour les traités commerciaux, les nouvelles priorités valoriseront partout dans le monde une agriculture de proximité à dimension humaine, équitablement rémunérée et biodiversifiée.
Pour les échanges commerciaux où l’obsession de la compétitivité est la règle, elle sera remplacée par l’obligation de se référer à un statut digne pour les travailleurs-euses et la préservation impérative de l’environnement. L’augmentation des emplois dans les campagnes va jouer un rôle décisif pour réussir une transition vers des pratiques agricoles qui intègrent la fertilité naturelle des terres, des cultures diversifiées, notamment par la mise en valeur d’anciennes variétés qui présentent de bonnes caractéristiques face au dérèglement climatique.
Avec plus de main-d’œuvre et une mécanisation légère, l’agriculture sera progressivement décarbonée.
Par cette alliance, les zones industrielles, commerciales, de loisirs et terres agricoles sont réunies sous le même toit.
Espérons une percée de l’USP, si proche des familles paysannes, pour rappeler avec détermination que 90 % de notre alimentation dépend des sols. Ce qui nous reste de terres agricoles doit impérativement être destiné à produire des denrées alimentaires.
Les milieux économiques saisissent l’enjeu vital qui se joue et renoncent à construire dans des terres porteuses de vie. Ils font acte de courage et de sobriété en revitalisant les friches industrielles et bientôt, les futures friches commerciales surdimensionnées.
Espérons que « Perspective suisse » aille plus loin et se saisisse des conséquences du dérèglement climatique particulièrement marquant durant l’année 2022 avec la fonte des glaciers qui atteint une diminution record de 6 %, en moyenne, la raréfaction de l’eau qui impacte l’agriculture et la composition de la végétation indigène. Les experts craignent l’apparition d’effets boule de neige et des changements irréversibles, avec des phénomènes qui n’évoluent plus de façon linéaire.
Les Rois mages s’en sont retournés dans les villes, les campagnes et les banlieues, porteurs de ces bonnes nouvelles. Ce n’est qu’un début.
Pour nouer la gerbe, une deuxième étape est nécessaire ; l’USP rejoint l’organigramme d’Économie suisse, de l’USAM ou de l’Union patronale suisse, les chambres d’agriculture intègrent leur Chambre cantonale du commerce.
Cette synergie permettra d’optimaliser les frais de fonctionnement des uns et des autres. Pour le secteur agricole qui ne compte plus que 48’500 entreprises, son absorption est à portée de main, d’autant plus que la diminution des exploitations se poursuivra. Les cotisations devraient baisser pour celles qui restent.
Je doute :
Créer une alliance en vue d’une échéance électorale est dans la tradition. Déclarer à l’unisson l’objectif d’une économie prospère et d’une agriculture de pointe, robuste et moderne, c’est aussi dans la tradition.
Face au dérèglement climatique, les déclarations ronflantes ne sont que trop rarement suivies de décisions concrètes, à la hauteur des enjeux vitaux. L’urgence climatique nous contraint à une réflexion profonde avec l’exigence de créer de nouveaux outils pour limiter la casse, ne pas détruire ce qui reste de vivant sur la planète. La politique agricole doit être revue de fond en comble pour ne pas utiliser le terme de révolution qui fait peur, nous paralyse dans un premier temps.
Le bilan d’une agriculture de pointe, robuste et moderne, telle que nous la développons depuis le lendemain de la dernière guerre mondiale est mauvais pour la planète ; pour produire une calorie alimentaire, nous consommons aujourd’hui 7 à 10 calories fossiles.
Impossible de continuer ainsi. Le rapport entre la surface cultivée et le nombre de personnes actives dans l’agriculture est de plus en plus déséquilibré.
Sommes-nous prêts, par exemple, à modifier le droit foncier rural pour permettre à celles et ceux qui souhaitent travailler dans l’agriculture d’accéder à la terre, d’innover avec de nouvelles pratiques culturales ? Nous avons besoin de ces pensées innovantes pour le changement devenu inéluctable.
C’est déstabilisant de penser que ce ne sera plus comme aujourd’hui.
C’est enrageant ou humiliant de reconnaître que les vers de terre et tous les micro-organismes jouent les premiers rôles dans l’acte de produire des denrées alimentaires, et non les puissants tracteurs qui pourtant me fascinent encore un peu…
La préservation des biens vitaux est impérative et doit constituer la référence dans tous les secteurs d’activités. La nouvelle alliance « Perspective suisse » doit intégrer ces valeurs de vie dans une nouvelle orientation de l’économie qui constitue le noyau dur de la résistance au changement.
Élaborer une stratégie pour les prochaines élections fédérales ou pour faire barrage aux initiatives qui appellent à prendre des mesures pour limiter la casse écologique qui se renforce me paraît vain et d’un autre temps.
Fernand Cuche.
Lignières, le 20 janvier 2023