Dans l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, soumis à votation le 7 mars 2021, l’importation d’huile de palme est censée provenir de parcelles cultivées durablement par des ouvriers agricoles équitablement rémunérés. L’écologie et le revenu équitable ont donc pointé leur nez dans la négociation. Pour contrôler le versement d’un salaire équitable, le Secrétariat à l’économie (SECO) peut se charger de cette tâche ; il possède une grande expérience dans l’analyse des chiffres et fera preuve de perspicacité pour vérifier la confiance que nous pouvons accorder aux organes de certifications des labels retenus.
Pour le volet agronomique, c’est plus complexe ; à notre connaissance et selon la tradition locale, la plantation de palmiers à huile répond aux critères de la monoculture. Les photos que nous pouvons « admirer » en témoignent à perte de vue. Pour produire durablement, la pratique de la monoculture est totalement inappropriée.
Pour assurer la croissance du secteur agricole, l’État indonésien mise toujours sur l’augmentation de l’exportation de l’huile de palme ainsi que sur sa transformation en biocarburant pour un usage national ; la devise d’Esso de 1965 : « mettez un tigre dans votre moteur » sera dès lors plus vraie que jamais… L’accroissement de la production se traduira par une intensification des plantations existantes et par de nouveaux défrichements de la forêt.
C’est une stratégie à courte vue qui s’inscrit dans une vision industrielle de la production agricole, dont nous connaissons les conséquences désastreuses pour la vie des sols et la biodiversité. Il serait plus profitable et durable de miser sur la diversification et la substitution des importations par des productions locales. L’Indonésie est devenue l’un des plus gros importateurs de blé au monde. Augmenter les surfaces pour les palmiers à huile se fera au détriment des communautés locales, de la production vivrière, garante de sécurité alimentaire et au détriment de la forêt. Pourtant, l’Indonésie figure, avec le Brésil, la Colombie et 15 autres nations, parmi les signataires de la Déclaration de Cancun des « pays mégadivers de même esprit » (2002), marquant leur intérêt à préserver la biodiversité et la durabilité.
En signant dans ce contexte un accord de libre-échange, la Suisse a passé comme chat sur braise sur les difficultés majeures à introduire une production durable et crédible, qui correspond à la définition d’une agriculture durable telle que communément admise chez nous.
Elle passe comme chat sur braise sur l’augmentation de cette monoculture de palmiers à huile qui contribue au dérèglement climatique par la destruction de la forêt primaire.
Un récent sondage des Nations Unies révèle qu’au Brésil, en Indonésie ou en Argentine une majorité des sondés sont en faveur d’efforts supplémentaires pour protéger la forêt. Rappelons que depuis près de 150 ans, les forêts suisses sont régies par une législation qui limite drastiquement le défrichage ; cette protection ne fait l’objet d’aucune contestation.
En acceptant cet accord, nous donnons le signal qu’il est toujours possible de défricher, produire industriellement de la nourriture, commercialiser et transporter ces marchandises d’un bout à l’autre du monde. Cette absence de réflexion et de conscience écologique dans les négociations commerciales est effarante.
En refusant cet accord de libre-échange le 7 mars, nous posons un premier jalon, afin que dorénavant les traités commerciaux intègrent la durabilité des bases vitales de la planète au même titre que la profitabilité financière immédiate.
Fernand Cuche
Les Prés / Lignières le 28 janvier 2021